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Mois : février 2015

« Bandoleros »

La guerre d’Espagne ne finit pas en avril 1939

La guerre civile espagnole ne s’acheva pas le premier avril 1939. Vainqueurs et vaincus étaient au moins d’accord là-dessus. Seule une propagande idéologique intense qui s’appuyait sur tous les moyens d’expression, en tentant de masquer la réalité, pouvait imposer comme une évidence une paix sociale qui n’existait pas. Quand le régime franquiste placardait les rues d’affiches proclamant « vingt-cinq années de paix », cela ne faisait pourtant que quelques mois que le dernier des guérilleros ayant entamé la lutte contre le franquisme en 1936, venait de tomber. À partir de là, il est possible de dire que la guérilla, rurale ou urbaine, depuis 1939, n’a jamais cessé d’exister en Espagne.
La guérilla ne fut jamais nommée par les médias de l’époque. Les hommes qui l’animaient étaient traités de « bandoleros » [1] , d’assassins, de braqueurs et de bien d’autres qualificatifs masquant la réalité de leurs actions. Qualificatifs inventés par des journalistes faisant partie de l’engrenage franquiste. L’unique information diffusée alors était celle de la capture ou de la mort d’un guérillero, souvent dans des circonstances mystérieuses (tentative d’évasion, résistance, suicide lors de son arrestation, etc.).
L’histoire de la guérilla est difficile à reconstituer. La majorité de ses protagonistes sont morts. La plupart des hommes qui participèrent à la lutte armée libertaire furent éliminés physiquement, lors d’affrontements avec la police, ou furent exécutés. Ceux qui parvinrent à survivre échappent encore à la curiosité des historiens.
« Bandoleros », maquis, résistance, guérilleros, ces termes se confondent, ils sont représentatifs d’une partie de l’histoire des luttes radicales contre le pouvoir franquiste.

La guérilla urbaine et ses objectifs

Les actions menées par les groupes armés étaient d’une témérité sans limites. Les groupes savaient que le fait que toutes les organisations officielles aient abandonné la stratégie armée rendrait difficile leur enracinement dans le peuple, mais ils espéraient pouvoir démontrer à ces organisations leurs erreurs.
Leur activité de diffusion de textes anarcho-syndicalistes resta limitée à la Catalogne. La principale difficulté pour les groupes d’action fut la relation précaire établie avec les groupes de l’intérieur de la péninsule. Les groupes d’action continuaient la guerre civile. Pour eux, elle ne s’était jamais arrêtée. La majorité des opposants de l’intérieur, à partir de 1953, considérait que la lutte contre le franquisme devait se développer aux moyens d’une participation la plus ample possible de la population. À noter que ce fut à partir du moment où les Etats-Unis établirent des relations diplomatiques avec l’Espagne que ces positions se firent jour dans l’opposition antifranquiste.
Le principal ennemi de la lutte armée fut pourtant la Garde civile. Le nombre de gardes mobilisés pour en finir avec les guérilleros était impressionnant. S’infiltrant dans les milieux exilés, les gardes pouvaient informer du départ des groupes vers l’Espagne. La collaboration de la police française fut également très importante. Si, initialement, le gouvernement français laissa les groupes de guérilleros s’organiser sur le territoire français, sans aucun doute en raison de leur participation active à la résistance contre le nazisme, le début de la guerre froide transforma les relations diplomatiques entre la France et l’Espagne.
La collaboration entre les polices françaises et espagnoles se développa, l’information concernant le passage des groupes d’action par les Pyrénées était transmise par les policiers français à leurs homologues espagnols. La Garde civile, pour lutter plus efficacement contre les guérilleros, créa des corps anti-guérilla. Les corps de la Garde civile réalisèrent plusieurs actions qui discréditèrent la guérilla, cela créa dans la population un climat d’insécurité qui provoqua l’isolement des guérilleros anarchistes. Les zones de passage, les sorties de Barcelone furent de plus en plus surveillées, des patrouilles composées de nombreux hommes armés formèrent autour de Barcelone un cercle de répression qui ne permettait plus aux guérilleros de rejoindre leurs bases, de déplacer du matériel et de recevoir du renfort en hommes. Les guérilleros eurent également des ennemis importants en les personnes des volontaires, de la police nationale, des gardes municipaux, des phalangistes et leurs organisations.
Pourtant, la guérilla tint la plupart du temps les forces gouvernementales en échec. La précarité de leurs moyens qui les obligeait à pratiquer des expropriations, le fait de ne pouvoir compter sur une organisation qui s’opposait à leur stratégie, la CNT de l’exil, pour laquelle ils luttèrent bien avant 1936, les rendirent vulnérables. De nombreuses initiatives menées par les groupes d’action resteront probablement méconnues pour toujours, mais ce qui est clair c’est que le régime de terreur imposé par Franco avait un ennemi opposé directement à lui. Quand la nouvelle de la mort du Quico Sabaté, un des combattants libertaires les plus acharnés contre le fascisme, parvint à Barcelone, les gens ne voulurent pas admettre la réalité de cette disparition. « El Quico viendra bientôt démentir ces menteurs », commentaient les travailleurs catalans, pensant à un montage de la police. Il est certain que quand Sabaté et Facerias, un autre grand lutteur, entrèrent dans la mythologie populaire cela prouva que, d’une certaine manière, ils étaient représentatifs de l’opposition d’un grand nombre d’Espagnols à un pouvoir qui voulait soumettre l’ensemble du peuple espagnol. Le « bandolero, » a toujours été mythifié en Espagne, parce qu’il incarne la lutte du faible et de l’opprimé contre le pouvoir établi. Il est défini par l’imagination populaire comme le voleur de riches et le défenseur des pauvres. Ce fut le cas de Sabaté, celui de Facerias et de leurs compagnons. Ils furent la personnification du « bandolero noble » qui lutte jusqu’à la mort pour la liberté et contre ceux qui s’opposent à elle.

 

Notes

[1Bandits de grands chemins, mais compte tenu que ce terme a dans l’imaginaire populaire un sens de défenseurs des pauvres contre les riches, en voulant discréditer et insulter leurs ennemis, les autorités franquistes et la presse qui les soutient les anoblissent,

 

Coupure de la presse française (Elle) sur Sabaté
Coupure de la presse française (Elle) sur Sabaté

Pour quitter l’enfer des camps, les internés…

Pour quitter l’enfer des camps, les internés ont quatre options :
– le rapatriement, la préférée des autorités françaises,
– la re-émigration vers un autre pays,
– l’engagement militaire d’abord la légion puis, avec l’approche de la guerre, dans d’autres types d’engagement qui leur seront proposés,
– l’embauche à partir d’avril, pour être employé soit par des particuliers, soit en qualité de prestataires.

Le rapatriement

Le 15 février 1939, les retours spontanés ne dépassant guère 50 000, la pression s’accentue dans les camps et les centres d’hébergement. Pour faire du chiffre, les moyens les plus abjects sont utilisés. Si les rapatriements forcés sont proscrits, certains n’hésitent pas à recourir à la duperie, en omettant de préciser par exemple vers quelle partie de l’Espagne s’effectue le retour, ou en exerçant un chantage odieux, en particulier sur les civils, dans le cadre d’un rapprochement familial, pour lequel la condition première est soit de signer un engagement formel de regagner l’Espagne, soit de faire croire que le reste de la famille est déjà rentré.
Si, au début de l’été, prés de la moitié des réfugiés (250 000) sont retournés en Espagne en raison des pressions exercées et de la frontière plus largement ouverte, ces effectifs restent bien en deçà de ceux escomptés par la présidence du conseil qui veut réduire à 50 ou 60 000 hommes maximum et une infime minorité de femmes et d’enfants, la possibilité de rester sur le territoire.
À cela, plusieurs raisons, les informations qui, malgré la surveillance, traversent les barbelés, et qui contredisent les déclarations mille fois répétées sur la clémence du Caudillo. Les internés ont ainsi eu connaissance de la loi du 9 février 1939 dite de «responsabilités politiques» promulguée par Franco qui permet de poursuivre ceux qui depuis octobre 1934 ont participé à la vie politique républicaine ou qui, depuis février 1936, se sont «opposés au mouvement national (…) par des actes concrets ou une passivité grave».
Mais l’information filtre aussi par des moyens détournés. Le premier d’entre eux, est l’information implicite fournie par la presse autorisée dans les camps qui signale que des rapatriés tentent de repasser la frontière.
Plus tard, ce sont les messages codés, envoyés par les proches demeurés en Espagne, qui apportent des précisions malgré la censure exercée.
Ainsi, lorsqu’en juillet 1939, Franco, après la restitution de l’or déposé à la banque de France à Mont-de-Marsan, se déclare prêt à recevoir 50 000 miliciens à raison de 2500 par jour, cette proposition demeure sans effet. Ceux qui pensaient ne rien redouter, sont déjà rentrés.
Les pressions (interrogatoire individuel pour convaincre ou donner un « motif valable »), comme les menaces (expulsion en cas de refus du travail proposé) demeurent sans effet, d‘autant qu’à la même date, des tracts alertant les réfugiés sur les risques encourus lors d’un retour en Espagne, notamment sur les pelotons d’exécution, les camps de concentration et les tortures, circulent dans les camps.
Par ailleurs, l’approche de la guerre, modifie la volonté du gouvernement qui ne souhaite à présent que le départ massif des seuls réfugiés «non susceptibles d’apporter à l’économie française le concours d’un travail utile», vis-à-vis desquels une pression constante pour obtenir leur retour massif doit être maintenue. Les récalcitrants doivent être conduits, les hommes au Barcarés où l’autorité militaire décidera de leur sort, et les femmes à Rieucros.
Dès le mois de décembre 1939, des pressions sont exercées sur les femmes pour quitter les centres d’hébergement ou regagner l’Espagne. Toutefois, compte tenu de la pénurie de main d’œuvre, le temps n’est plus au rapatriement mais à la mise au travail. En mai 1940, toute personne âgée de 14 à 70 ans, excepté ceux dangereux pour l’ordre public, jugée apte à un travail manuel doit être autorisée à demeurer en France.

L’évacuation vers un autre pays

La France sert aussi de lieu de transit vers d’autres destinations. Cette nouvelle émigration qui touche moins de 20 000 personnes, dont plus de 15 000 en Amérique latine, va concerner en priorité les réfugiés du secteur tertiaire et les militants d’organisations politiques, en particulier ceux d’obédience communiste, en raison de leurs liens avec les responsables du SERE comme avec les représentants et du Mexique, Lázaro Cardenas (document : Programa Cardenas), Narciso Bassols et du Chili Pablo Neruda, qui exerça une sélection drastique.
Pour organiser ces évacuations et sélectionner les candidats au départ, deux organismes sont tour à tour créés. Le SERE (servicio de evacuación de los republicanos españoles), qui, en mars 1939, devient le Servicio de emigración, et La JARE (junta de auxilio a los republicanos españoles), créée en juillet 1939 pour contre balancer les actions du SERE, qui restera seule après le pacte germano-soviètique et la dissolution du SERE accusé d’être contrôlé par les communistes.
Peu de pays offrent l’asile et le plus souvent avec parcimonie.
L’URSS, en accepte moins d’un millier (si l’on excepte les enfants et les militaires qui se trouvaient sur place au moment de la chute de la république), pratiquement que des communistes particulièrement sélectionnés. La Grande Bretagne, comme les Etats Unis et la plupart des pays d’Amérique latine, impose également des quotas très stricts. Seul le Mexique de Lazaro Cardenas, dès février 1939, offre une large hospitalité. Entre 1939 et 1940, ils seront ainsi environ 7 500 réfugiés dont une majorité d’intellectuels et d’employés du secteur tertiaire. Viennent enfin le Chili et la République dominicaine qui en acceptent respectivement environ 2300 et 3100 en 1939, et l’Argentine, le Venezuela, la Colombie et Cuba environ 2000.

La mise au travail. Une main-d’œuvre à bon marché

Si dans un premier temps, le gouvernement français ne souhaitait qu’un rapatriement rapide et massif des réfugiés, dés le printemps, il envisage leur utilisation dans l’économie du pays.
Après avoir lancé une étude au niveau du département pour recenser les gros travaux qui pourraient leur être confiés, sans concurrencer la main d’œuvre locale, et déterminer les modes d’organisation, le 12 avril 1939(lire texte décret 12 avril 1939), un décret-loi assujettis, dès le temps de paix, les étrangers âgés de 20 à 48 ans, considérés réfugiés ou sans nationalité, à des prestations d’une durée égale à celle du service imposé aux Français. Des décrets ultérieurs (27 mai 1939 et 13 janvier 1940) fixent les conditions de ces prestations : les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) ou unités de prestataires étrangers, composées de 250 hommes chacune, placées sous commandement d’un capitaine français à qui est adjoint un capitaine espagnol pour transmettre les ordres, sont créées.
Le ministère du travail, aidé du général Ménard, est chargé de répertorier et de classer les hommes valides, celui de l’intérieur, par l’intermédiaire des services de police, de procéder à l’identification des indésirables.
À la même date, le ministère de Travail propose aux directeurs des offices départementaux de recruter la main d’œuvre pour les exploitations agricoles dans les camps plutôt qu’à l’étranger comme traditionnellement.
Cette possibilité, fort prisée de nombreux propriétaires du Midi qui viennent recruter directement dans les camps, va occasionner une nouvelle épreuve pour les internés. Vers 10h, le camp se transforme en véritable «marché aux esclaves». À l’image d’une foire au bétail, ceux qui sont jugés aptes au travail, sont exposés sur la place centrale du camp où les futurs patrons viennent les sélectionner.
Au cours de l’été 1939, l’application du décret du 12 avril 1939 est généralisé à tous les hommes valides encore internés, excepté ceux jugés «indésirables». Ceux non encore enrôlés doivent être requis pour les travaux agricoles, en qualité de prestataires et non de travailleurs libres. En octobre, il est précisé qu’à défaut, ils seront «refoulés, sous escorte, à la frontière espagnole». Ces nouveaux prestataires sont placés sous la surveillance des services locaux de police ou de gendarmerie.
L’enrôlement des prestataires initialement basé sur le volontariat devient obligatoire. Dès le 4 septembre (lire la politique d’Édouard Daladier et Albert Sarraut), les CTE sont réorganisées. Augmentées de 40 nouvelles compagnies formées de prestataires non volontaires, le nombre de CTE s’élève à 180 à la fin de l’année.
En février 1940, Albert Sarraut se déclare satisfait de l’efficacité de l’application du décret sur l’astreinte aux prestations, reste celui des civils toujours en suspens. L’incorporation dans les CTE qui devait permettre aux familles de se regrouper ne règle rien en raison tant des conditions de logement que des indemnités perçues qui ne permettent pas d’assurer la subsistance de la famille comme la loi les y oblige.
Les femmes dont les maris sont internés doivent trouver un emploi. Les mères doivent s’organiser pour la garde de leurs enfants ou les envoyer dans des colonies organisées par la commission internationale d’aide aux enfants réfugiés. Celles qui refusent, sont mises en demeure de regagner l’Espagne.

L’engagement

L’ultime moyen de quitter les camps est celui de tout temps qui consiste à s’engager dans la légion étrangère. Le chantage exercé à la frontière se poursuit dans les camps. Le 8 février 1939, A. Sarraut demande que, par voie d’affiches ou par entretiens individuels ou collectifs, il soit proposé à ces «étrangers dépourvus de situation stable en France» de s’engager dans la légion étrangère. Peu enclin à rejoindre cette arme, les réfugiés vont être plus favorables aux autres types d’engagement proposés à l’approche de la guerre.
En effet, pour les ex-miliciens ni recrutés pour travailler à l’extérieur des camps, ni incorporés dans les CTE, la seule voie pour sortir des camps va être l’engagement dans la légion pour une durée de 5 ans ou les régiments de marche des volontaires étrangers (RMVE) pour la durée de la guerre.
En général, la deuxième possibilité a leur préférence. Au total, 6000 à 7000 contracteront un engagement.
Progressivement les camps vont ainsi se vider. Les effectifs de 173 000 à la mi-juin 1939, seraient de 35 000 fin décembre. Les camps algériens n’en renfermeraient qu’un millier à peine.

Illustration : dessin de Josep Bartoli

Les camps d’Afrique du Nord

Lorsqu’en mars 1939, les derniers évacués de la zone sud-est de l’Espagne, qui ont cherché refuge en Afrique du Nord, atteignent les côtes du Maghreb, la situation qu’ils rencontrent rappelle celle vécue, au début de l’année, par les exilés de la Retirada. L’improvisation est toujours là, mais, plus que partout ailleurs, l’ambiance générale leur est encore plus défavorable, car si, comme en métropole, la population, en particulier, celle d’origine espagnole, reste très divisée, les autorités ne cachent pas leur haine des « rouges ».

Créés pour y interner les combattants des derniers évacués de la zone sud-est de l’Espagne, de l’ordre de 10 à 12 000 réfugiés, composés essentiellement de militants et de cadres de l’administration, qui ont pu s’embarquer avant l’arrivée des troupes Italiennes et franquistes, les camps d’Afrique du Nord sont d’autant plus improvisés et dépourvus d’installations, que les autorités ont été rétives à leur ouverture.

L’arrivée de ces quelques milliers de « rouges » est loin d’être appréciée. Leur séjour est d’autant plus redouté que, dans leur grande majorité, ils sont très politisés. Toutefois, l’accueil va être variable en fonction du lieu où les bateaux accostent.
En Tunisie et au Maroc (limité en raison de la proximité du territoire sous contrôle franquiste), les exilés vont généralement bénéficier d’une plus grande liberté que ceux arrivés en Algérie, en particulier, dans l’Oranie où la prédominance d’une colonie d’origine espagnole, fait craindre à la fois une « hispanisation » de la région et l’émergence de conflits entre pro républicains et pro nationalistes. Ainsi à Oran, où la municipalité va fêter la victoire nationaliste, les autorités vont tout faire pour éviter leur débarquement et, faute de mieux, les évacuer au plus vite vers d’autres régions.

Après des mises en quarantaine variables, les civils sont provisoirement abrités dans des centres d’accueil improvisés (ancienne prison civile d’Oran, anciens docks et marabouts installés sur le port, à Ravin blanc, réservés aux hommes) ou évacués vers des centres d’hébergement plus éloignés.
Excepté Ben Chicao, la plupart de ces centres sont situés dans la région d’Orléansville. Les plus importants : Carnot plutôt réservé aux regroupements familiaux dont les conditions sont légèrement meilleures, et Beni Hindel (Molière) destinés aux femmes et aux enfants. L’improvisation constatée quelques mois plus tôt en métropole est également à l’ordre du jour. En revanche, l’absence de réquisitions de locaux pour des hébergements collectifs, obligent les autorités à recourir aux installations militaires, d’où l’importance de réfugiés placés dans des camps sous contrôle militaire par rapport aux centres d’hébergement sous administration civile.[[Ces centres seront fermés dès le 1er mai 1940 après incorporation des hommes internés dans les CTE.]]

En règle générale, les conditions de vie et d’hygiène sont déplorables. Compte tenu de la fréquence des situations d’insalubrité régulièrement dénoncées, les réfugiés sont déplacés de centres en centres dans des conditions également difficiles et pour un résultat nul car ces mouvements ne résolvent rien.
Toutefois, ces conditions aussi pénibles soient-elles, n’ont rien de comparables avec celles des camps d’internement.

Parmi ces camps, [[Sur les camps en Afrique du Nord, voir :
– Anne Charaudeau, L’exil républicain espagnol : les camps de réfugiés politiques en Afrique du Nord, in Italiens et Espagnols en France 1938-1946, colloque international, Paris, CNRS, 28-29 novembre 1991, sous la direction de Pierre Milza et Denis Peschanski.
– Andrée Bachoud, Bernard Sicot (coord.), Sables d’exil : Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb 1939-1945, ouvrage collectif in Exils et migrations ibériques au XXe siècle n° 3 nouvelle série (BDIC/CERMI/CRIIA), Perpignan, éd. Mare Nostrum, 2009.]], Cherchell où sont dirigés en priorité les intellectuels et les francs-maçons, et à l’écart des villes, ceux réservés aux miliciens : Relizane (ancienne caserne dans la région de Mostaganem) et au sud d’Alger (Blida) le camp Morand près de Boghari qui abrite quelques 3 000 internés au début de l’été 1939 et le camp Suzzoni à Boghar. Dans ces deux derniers camps, souvent regroupés sous le même nom de « camp de Boghar », les conditions de vie sont plus dures que partout ailleurs en raison notamment d’une surpopulation, et d’un régime d’austérité aggravé par les conditions climatiques.

En mai 1939, un rapport du CICIAER (Comité International de Coordination et d’Information pour l’Aide à l’Espagne Républicaine) mentionne : « ils manquent de tout… Avec la chaleur, cela nous permet d’affirmer que pas un homme ne pourra résister dans ces conditions. Ils sont voués au désespoir, à la maladie et à la mort ».[[Rapport du docteur Weissman-Netter in Deux missions internationales visitent les camps de réfugiés espagnols (mai 1939), Paris, CICIAER, 1939.]]

Avec l’entrée en guerre, ces camps vont progressivement se militariser, les quelques civils internés à Boghar vont être dirigés vers Cherchell, et ceux de Relizane vers l’ancienne prison d’Oran. À Boghar, les miliciens maintenus sur place sont bientôt rejoints par les suspects de subversion, en particulier les communistes après le pacte germano-soviétique. Pour mieux les contrôler des mesures spécifiques sont prises touchant à la fois à la militarisation des camps et dès l’été 1939 à l’organisation des premières compagnies de travailleurs.

Les Compagnie de travailleurs étrangers (CTE) en Afrique du Nord

En avril 1940, ils sont environ 2 500 dans les CTE pour toute l’Afrique du Nord. En Algérie, ils sont surtout utilisés pour la réfection des routes, l’extraction du charbon dans les mines de Kenadza et la construction du « transsaharien » (voie ferrée qui devait relier l’Afrique du nord [Colomb-Béchar] à l’Afrique occidentale [Niger-Mali]). Perdu en plein désert, ce chantier, commencé lors de la Première Guerre mondiale qui a cessé en 1918 avec le rapatriement des prisonniers allemands, peut être repris grâce à l’utilisation de ces nouveaux esclaves. Les conditions, déjà terribles, ne vont cesser de s’aggraver. Logés dans des marabouts, ces travailleurs forcés vont faire rapidement connaissance avec les calamités naturelles de la région : les variations thermiques, le sirocco, ce vent chaud chargé de sable qui peut devenir une véritable torture, les habitants du désert parmi lesquels les scorpions, les serpents, les araignées… et la soif épanchée dans le meilleur des cas par une eau fétide et chaude ! C’est là que commencent les dysenteries, les crises de paludisme, les diarrhées… Cayetano Zaplana se souvient de ces cris, déchirant la nuit, des malades qui vont aux tinettes, où ils se font dévorer par les mouches. [[Cayetano Zaplana, Recuerdos de ayer, témoignage recueilli le 15 septembre 1988 par le CIRA (Centre international de recherche sur l’anarchisme), de Marseille. Voir bulletin du CIRA n° 29-30, février 1989, Pépita Carpena, Daniel Dupuy, Antonio Téllez, Les Anarchistes espagnols dans la tourmente, 1939-1945.]]

Même les punitions surpassent celles de la métropole. Ici, le cuadrilátero consiste en un espace au-dessus duquel on tend une toile à environ trente centimètres du sol. Dans cette fournaise, le puni peut être maintenu plusieurs jours ! Et toujours la faim et la soif ! Et pas la moindre lueur d’espoir de fuir cet enfer, car celui qui parvient à éviter les fléaux naturels du désert ne peut se soustraire à la vigilance des horribles goumiers à la solde de l’armée française, qui, plus rapides que l’éclair, pourchassent les évadés et les livrent contre une misérable récompense.

Pourtant, le pire reste à venir. Sous le gouvernement de Vichy, les CTE sont transformées en GTE (groupement de travailleurs étrangers), véritables bagnes conçus dans une logique d’exclusion. Commence alors une nouvelle génération de camps où les conditions sont cette fois criminelles. Les Espagnols ne sont plus les seules victimes. Leurs rangs vont se grossir des punis des camps de métropole, des opposants et des victimes du régime de Vichy. Les fascistes notoires, tant civils que militaires, qui, le 29 mars 1939, saluaient la victoire franquiste, vont pouvoir assouvir leur haine des « rouges », sans aucune retenue.

Toute l’Afrique du Nord a abrité des camps. Il y en a eu en Tunisie : El Guettar, Gafsa ; au Maroc : Bou-Arfa, Ain-el-Ourak, Settat, Tandrara (plutôt réservé aux internés juifs), Méridja (chantiers des mines de charbon de Djerada et du transsaharien qui prend le nom de « Méditerranée-Niger ») à la frontière Algéro-Tunisienne, mais les principaux et les plus nombreux étaient en Algérie. Outre ceux de la première période, citons les plus tristement connus : Oued-Akrouch, Berrouhaghia, Colomb-Béchar, Djelfa ; les terribles prisons de Maison carrée à Alger et surtout du fort Caffarelli, et les camps disciplinaires dont celui d’Hadjerat M’Guil, dans le Sud algérien, où sont envoyés les détenus qui se rebellent. À la fin de la guerre, les responsables de ce dernier camp seront jugés et exécutés comme tortionnaires, ayant pratiqué des méthodes dignes d’un camp nazi.