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Entrée dans Paris, le 24 août 1944

 

« La vie d’un homme n’a pas de prix. »
« Quand on est arrivés dans les alentours de Paris, Dronne, sur ordre de Leclerc, a pris les deuxième et troisième sections, avec une centaine d’Espagnols, et s’est dirigé vers la capitale. J’étais dans la première section. On s’est arrêtés à la Croix- de-Berny, empêchant que les Allemands se replient sur Paris.

« Quand les tirs cessaient, les gens s’approchaient pour nous embrasser. À Antony, proche de Paris, malgré le danger, on m’a sorti de la voiture et jeté par terre pour m’embrasser ! C’était une folie.

« Je suis entré dans Paris le jour suivant, très tôt, avec le général Leclerc. Avec ma section, je suis allé jusqu’à la place des Invalides et, ensuite, après quelques affrontements, à l’École militaire, où on s’est installés, quand les Allemands sont sortis avec un drapeau blanc.

« Le jour suivant, c’était le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. De Gaulle est passé en nous saluant et on lui a servi de garde d’honneur, deux half-tracks à gauche et deux à droite.

« On s’est ensuite reposés dans le bois de Boulogne, où beaucoup de gens venaient nous voir ; surtout de très jolies filles. On avait chacun une tente de campagne individuelle pour dormir ; mais, ces jours-là, personne n’a dormi seul…

« Le pire souvenir de Paris, dans ces moments-là, a été de voir des femmes qu’on poussait dans la rue, qui avaient été rasées et qu’on bousculait, en leur arrachant les vêtements, laissant leur poitrine à l’air. Il y avait des femmes jeunes, mais aussi des plus âgées, de quarante ou cinquante ans. C’était triste à voir. On s’est souvent bagarrés à cause de ça. Qu’on les rase, passe encore ; mais qu’on les maltraite, qu’on les déshabille, qu’on leur fasse boire de l’huile de ricin et qu’on leur accroche autour du cou des écriteaux : non. On a crié beaucoup et il a fallu faire preuve de fermeté. Ces choses ne nous plaisaient pas. Ça nous paraissait une lâcheté.

« On est arrivés sans grands problèmes jusqu’aux environs de Paris. Pendant qu’on affrontait les Allemands, dans les alentours, Leclerc est arrivé en cherchant à joindre Dronne. Je suis allé le chercher et, une fois arrivé, le général lui a dit qu’il devait filer avec la compagnie vers Paris ; il fallait arriver cette même nuit. Je n’avais jamais été à Paris.

« On a atteint rapidement l’Hôtel de Ville et on s’est installés autour, face aux quais de la Seine et à tous les endroits stratégiques. Tout de suite, les maquisards de la Résistance sont arrivés ; ils montaient avec nous, dans nos voitures, et nous dirigeaient là où se trouvaient les Allemands.

« Le jour suivant, tôt, on a nettoyé toute la zone, libéré la rue des Archives, où se trouvaient encore des forces allemandes, et on s’est dirigés ensuite vers la place de la République où se trouvait une caserne encore occupée par une grande quantité d’Allemands. Après des affrontements durs, on est repartis avec plus de trois cents prisonniers.

« Là, on a dû être très fermes, parce que beaucoup de civils qui les insultaient voulaient aussi leur prendre leurs bottes et leurs vêtements. On ne les a pas laissé faire : ça ne nous plaisait pas, ça n’était pas digne. Après toute la misère qu’on avait subie pour arriver jusque-là, et une fois que tous ces gens étaient libres, ils n’avaient pas à prendre les bottes des prisonniers. Nous, sur le front, oui : on leur enlevait montres, bagues, stylos à plume et des choses comme ça, avant de les refiler aux Américains, qui étaient très contents et nous donnaient beaucoup de choses en échange, parce qu’ils pouvaient dire qu’ils avaient eux-mêmes fait des prisonniers…

« Le lendemain, pendant le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées, la Nueve escortait le général de Gaulle. On nous avait mis là parce que je crois qu’ils avaient plus confiance en nous, comme troupe de choc, qu’en d’autres… Il fallait voir comme les gens criaient et applaudissaient ! Au début du défilé, on a vu une grande banderole républicaine espagnole, longue de vingt ou trente mètres, portée par un important groupe d’Espagnols qui n’arrêtaient pas de nous acclamer. Peu après, quelqu’un leur a fait retirer cette banderole.

« Après, pour nous reposer, on nous a envoyés au bois de Boulogne, aux alentours de Paris. On y est restés environ trois semaines ; chaque jour, une foule de gens venaient nous rendre visite et nous saluer… »